Dire non, comment s'organiser en temps d'effondrement ?
Festival Agir pour le vivant • #4
En fait, d'effondrement, il n'en pas véritablement été question lors de cette soirée exceptionnelle d'échanges et de débat organisée dans le cadre de l'édition arlésienne du festival "Agir pour le vivant". Au micro de Paloma Moritz, journaliste pour le site d'information Blast, les intervenants se sont succédés à un rythme soutenu faisant régulièrement vibrer d'optimisme les 400 participants de cette rencontre.
(Texte et photos de Jean-Luc MOYA • 2 Degrés • 29/08/2023)
Les voies du possible
En orateur averti, Cyril Dion nous a présenté les choix antinomiques auxquelles nos sociétés sont confrontées.
Celle du "business as usual" et son scénario catastrophe : +2.7° C de réchauffement climatique d'ici la fin du siècle, la multiplication des conflits, la raréfaction des ressources, la perte irréversible de notre biodiversité. Et face à l'incroyable défi posé à l'Humanité, les fausses solutions prônées par le "solutionnisme technologique" ne feront jamais entrave à la montée de l'extrême droite et de l'autoritarisme.
L'éducation positive, la sobriété, les assemblées citoyennes, la relocalisation, le municipalisme libertaire... s'offrent à nous comme des alternatives possibles, réalistes et réalisables. Ce choix, c'est celui d'"Agir pour le vivant".
Et de présenter les stratégies économiques, politiques, culturelles, juridiques et démocratiques pour atteindre cet objectif commun.

Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce
Agir pour le vivant, c'est d'abord dire Non ! Refuser de parvenir à tout prix au détriment de la vie et des écosystèmes. Pour "instaurer la dignité du présent", Corinne Morel Darleux nous a questionné sur nos choix quotidiens ainsi que ceux livrés lors des luttes écologiques.
Elle ne croit plus à la stratégie de conquête du pouvoir par les urnes et nous conseille de rediriger le militantisme vers des actions plus performatives, prolongeant les démarches revendicatives qui ont montré leurs limites.
Il s'agit de faire, sans attendre, ici et maintenant : protéger et occuper des terres agricoles, planter des arbres, sortir de la culture du rapport de force. L’époque est peut être à davantage d’actions locales, ponctuelles, éparses, inattendues et démultipliées, où ce n’est pas le nombre qui fait la force mais le partage d'un horizon commun.
Scientifiques en rebellion
Jérôme Santolini le reconnait avec gravité. La crise sanitaire liée au Covid-19 a creusé la méfiance envers des savoirs scientifiques conçus par le pouvoir politique comme des instruments autoritaires de décision et de domination déconnectés de la société.
En même temps, la science nous explique aujourd'hui que d'autres mondes sont possibles.
Faisant une seule voix avec celle de Christophe Bonneuil, les intervenants nous ont rappelé que les savoirs scientifiques en temps de crise peuvent être de formidables outils démocratiques et émancipateurs en plaçant le savoir au service de l'intérêt général.
La carte des luttes
Bien connu pour ses engagements, Hervé Kempf nous a présenté la "carte des luttes". Aéroports, fermes-usines, barrages, entrepôts logistiques, centres commerciaux… Les grands projets inutiles et dévastateurs prolifèrent en France.
Face à eux, des collectifs citoyens se mobilisent pour défendre leur environnement.
Reporterre publie une carte de toutes ces luttes locales, près de 600 à date. Elle sert d’outil pour celles et ceux qui veulent empêcher la destruction du monde.
On ne règle pas les problèmes avec ceux qui les ont créés
Citant la célèbre phrase d'Albert Einstein, l'intervention de Cyril Girard nous a permis de "territorialiser" un exemple emblématique de lutte locale, celle de l'hypothétique projet de contournement autoroutier d'Arles.
Présentant ce véritable laboratoire de décisions politiques incohérentes, l'élu de Changeons d'Avenir nous a invité à prendre de la hauteur, présentant le "diverticule autoroutier" de 26 km comme la conséquence de choix stratégiques plus globaux.
Le tout-camion, l'essor de trafic de marchandises conteneurisées via le grand port de Marseille, la prolifération des entrepôts logistiques sont les corolaires de cette évidente absurdité.
Adepte du municipalisme, il nous a rappelé que lutte locale et combat global sont intimement liés.
Le Droit peut-il sauver la Nature ?
Sébastien Mabile en est convaincu. Pour l'avocat, les récents et nombreux contentieux portés à l'encontre des multinationales constituent un nouveau front judiciaire essentiel pour lutter en faveur de la cause climatique.
Ian, activiste contre les frontières et le racisme nous a rappelé la force du droit mais aussi ses faiblesses face aux capacités des Etats de le faire évoluer pour légitimer leurs exactions.
Mais, même si l'action en justice est toujours un pari risqué et rarement gagnant, il faut toujours prendre en compte deux éléments très importants : la capacité pour le juge à rendre des décisions novatrices et créer ainsi des jurisprudences très utiles et le retentissement de ces actions en justice sur le terrain médiatique. La preuve avec Marine Yzquierdo, avocate en droit de l’environnement, membre de Notre Affaire à tous, mouvement qui s’est engagé depuis sa création, dans l’élaboration du premier recours climat à portée globale, enjoignant l’Etat français à respecter ses engagements en faveur de l’environnement et du climat.
Le cas des "Soulèvements de la Terre", porté ce soir là par Léna Lazare est symptomatique. Deux semaines à peine après la suspension de la dissolution du mouvement par le Conseil d'Etat, la porte-parole a revendiqué les actions radicales qui peuvent parfois choquer certaines personnes. Mais elle les a défendu par rapport à l'urgence de la situation tout en revendiquant aussi une absence totale de toute forme de terrorisme.
La vraie violence, c'est celle portée contre les êtres vivants. En témoignent Sebastian Restrepo et Catalina Mesa, représentant·es du mouvement Visión suroeste en Colombie. Leur combat pour la préservation de l’environnement est un exemple d'un enjeu mondial connecté à des dynamiques de défense sociale des territoires. Leur engagement depuis de nombreuses années aux côtés des populations locales pour la préservation du Sud-Ouest du département d’Antioquia face à la pression des mégaprojets d’extraction minière au sein des municipalités de Tamesis et Jericó forcent le respect.
Pour tuer la bête, il faut réveiller la belle
Olivier Dubuquoy, réalisateur, géographe et militant, bien connu localement pour son combat contre les "boues rouges" d'Altéo venait clôturer cette soirée intense. Son expérience est révélatrice car rien ne le destinait à la lutte. En passant de l’indignation à l’action, il a gagné une bataille écologique importante qui semblait pourtant perdue d’avance.
Il faut savoir raconter un récit,
instaurer un rapport de force durable et profiter d'un contexte historique particulier pour pouvoir agir efficacement. C'est sur ce triptyque gagnant que
Cyril Dion
venait conclure cette formidable soirée qui, entre conversations, musique et danse, nous a permis de nous élever contre les projets absurdes et mortifères qui continuent à voir le jour aujourd’hui et
imaginer un autre avenir.